11.01.2006

Aragon, 20 ans après

Aragon, vingt ans après ?

Plusieurs centaines de personnes se sont pressées ce week-end au moulin de Saint-Arnoult, dernière demeure de Louis Aragon et d’Elsa Triolet. Philippe Apeloig, Pierre Arditi, Bernard Lavilliers et Philippe Caubère ont, à leur manière, évoqué l’écrivain dont on célèbre les vingt ans de la disparition.

Il faut appeler les choses par leur nom. Un texte d’Aragon, écrit et prononcé en 1959 à la Mutualité lors d’une conférence organisée par les Jeunesses communistes, en présence de Maurice Thorez. Voilà le premier extrait choisi et lu par Pierre Arditi. Suivront la Valse des adieux, les Propos décousus, le Soliloque du comédien, Servitude et grandeur des Français (les Bons voisins), des textes lus sans contraintes chronologiques, piochés dans l’immensité de l’ouvre aragonienne. Bernard Lavilliers reprend le répertoire d’Aragon mis en musique par Ferré, propose d’autres orchestrations, chante la Rose et le Réséda seul, à la guitare. La partition est écrite de la veille. Philippe Apeloig a fait le voyage de New York tout spécialement pour être de la partie. Sur ses affiches, les lettres rivalisent avec les mots dans une calligraphie chorégraphiée comme en un miroir déformant qui s’amuserait à dénicher des sens égarés. Voici trois artistes contemporains qui ne s’enlisent pas dans les pesanteurs d’une commémoration convenue. Un état d’esprit qui anime aussi Bernard Vasseur, directeur des lieux.

D’ailleurs, quoi de plus naturel, pour évoquer l’écrivain, que de redonner à entendre ses mots qui, quarante, vingt ou trente ans après, n’ont pas vocation à être érigés en vérités mais demeurent des libres propos qui questionnent l’art, la création, l’amour, l’engagement. Aragon a dérangé de son vivant. Mort, il continue de déranger tous les tenants de vérités premières, alors que la raison d’être de l’engagement d’Aragon était l’incertitude, celle-là même qui fait douter du bon ordre des choses. Aragon dit " je " et évoque le cheminement de sa vie sans nier - ni renier - tous ces autres lui-même en quoi il se métamorphosait, non en autant d’égarements mais aux croisements de choix cruciaux qui firent de lui cette figure de l’" intellectuel engagé ". Un écrivain dans son siècle, un siècle aux mille tourments qui démarre au milieu des fracas et de la boue des tranchées. Un siècle marqué par l’histoire, par la création, une frénésie de vie et de liberté. Intellectuel engagé : la formule est facile, redondante, pour certains antinomique. Pourtant, l’interrogation semble resurgir - qui n’a pas entendu ici et là s’interroger sur " le silence " des intellectuels - et la posture d’Aragon, loin d’être figée dans le marbre, est réactivée par des voix diverses. Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut voir. Théâtre, poésie, danse, littérature, arts plastiques... La création contemporaine, quoi qu’on en dise, est vivace. Aragon, dans ses écrits, des Lettres françaises à l’Humanité, a non seulement encouragé la création mais il l’a défendue contre vents et marées même quand l’assaut venait de sa famille politique. Son " Salut aux cadets " n’est pas une formule de circonstance. C’était l’encouragement qu’adressait un grand aîné aux jeunes créateurs ainsi appelés à faire ouvre après lui. Sa volonté, respectée, de faire du moulin un lieu de soutien à la création où les arts à l’ouvre s’allient à sa propre postérité. De sa tombe, Aragon nous garde du grand sommeil.

Zoé Lin

Article paru dans le journal l'humanité, le 21 octobre 2002